Alfred de Musset a lu Indiana, le premier roman que George Sand a écrit seule sous son pseudonyme. Dans ce roman, la jeune Indiana est mariée au vieux colonel Delmare, antipathique et très autoritaire. Elle se laisse alors séduire par un jeune monarchiste plein d'esprit, Raymon de Ramière, et pense trouver dans cette relation amoureuse un souffle de bonheur et de liberté. Mais Raymon a également séduit Noun, la jeune femme de chambre de la maison. À la fin de la première partie du roman, la vérité éclate. En voici un extrait.
Mme Delmare avait pleuré toute la nuit ; elle se laissa tomber sur le gazon, encore blanchi par la gelée du matin, au bord de la petite rivière qui traversait le parc. On était à la fin de mars, la nature commençait à se réveiller ; la matinée, quoique froide, n’était pas sans charme ; des flocons de brouillard dormaient encore sur l’eau comme une écharpe flottante, et les oiseaux essayaient leurs premiers chants d’amour et de printemps.
Indiana se sentit soulagée, et un sentiment religieux s’empara de son âme.
– C’est Dieu qui l’a voulu ainsi, dit-elle ; sa providence m’a rudement éclairée, mais c’est un bonheur pour moi. Cet homme m’eût peut-être entraînée dans le vice, il m’eût perdue ; au lieu qu’à présent la bassesse de ses sentiments m’est dévoilée, et je serai en garde contre cette passion orageuse et funeste qui fermentait dans son sein...
« J’aimerai mon mari... je tâcherai ! Du moins je lui serai soumise, je le rendrai heureux en ne le contrariant jamais ; tout ce qui peut exciter sa jalousie, je l’éviterai ; car, maintenant, je sais ce qu’il faut croire de cette éloquence menteuse que les hommes savent dépenser avec nous. Je serai heureuse, peut-être, si Dieu prend pitié de mes douleurs, et s’il m’envoie bientôt la mort... »
Le bruit du moulin qui mettait en mouvement la fabrique de M. Delmare commençait à se faire entendre derrière les saules de l’autre rive. La rivière, s’élançant dans les écluses que l’on venait d’ouvrir, s’agitait déjà à sa surface ; et, comme Mme Delmare suivait d’un œil mélancolique le cours plus rapide de l’eau, elle vit flotter, entre les roseaux, comme un monceau d’étoffes que le courant s’efforçait d’entraîner. Elle se leva, se pencha sur l’eau, et vit distinctement les vêtements d’une femme, des vêtements qu’elle connaissait trop bien. L’épouvante la rendait immobile ; mais l’eau marchait toujours, tirant lentement un cadavre hors des joncs où il s’était arrêté, et l’amenant vers Mme Delmare... Un cri déchirant attira en ce lieu les ouvriers de la fabrique ; Mme Delmare était évanouie sur la rive, et le cadavre de Noun flottait sur l’eau, devant elle.
George Sand, Indiana, 1832
Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.frTélécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/francais-premiere ou directement le fichier ZIPSous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0